DEFINITION
La loque européenne aussi appelée loque bénigne ou puante (european foulbrood en anglais) est une maladie du couvain ouvert affectant les larves des trois castes d’abeilles (ouvrières, mâles et reine). Cette maladie engendre une mortalité des larves généralement avant operculation. La mort d’un grand nombre de larve peut engendrer l’affaiblissement voire dans les cas extrêmes l’effondrement d’une colonie d’abeilles. Les abeilles adultes sont des porteurs sains.
Contrairement à ce que son nom indique cette pathologie est présente dans quasi le monde entier (sauf en Nouvelle-Zélande). Elle touche différentes espèces d’abeilles et notamment Apis mellifera, Apis cerana, Apis laboriosa.
En France elle n’est plus une Maladie Réputée Contagieuse (MRC). Pour rappel les MRC sont classées dans les dangers sanitaires de catégorie 1. Début 2015, cette catégorie comprend la Nosémose (Nosema apis), la loque américaine (Paenibacillus larvae), Aethina tumida, Tropilaelaps spc.). Il n’y a donc pas actuellement de statut réglementaire pour cette maladie.
C’est une maladie bactérienne, l’agent causal est connu depuis un siècle il s’agit de Melissococcus pluton (bactérie Gram+).
La loque européenne est enzootique dans différentes colonies d’abeilles en raison de la contamination des cadres par les bactéries, entrainant potentiellement une réémergence les années suivantes.
Les analyses en laboratoires ont démontré que d’autres germes peuvent se développer après l’infection créée par M. pluton : Achromobacter euridice, Lactobacillus eurydice, Paenibacillus alvei, Brevibacillus laterosporus, Paenibacillus apiarius, Enterococcus faecalis. Ces germes secondaires ne peuvent déclencher la loque européenne, mais peuvent influencer les symptômes observés, notamment l’odeur ou la consistance du couvain mort selon que tel ou tel germe est présent. L’odeur putride apparaît lorsque de nombreuses cellules sont atteintes. Par exemple dans la forme de loque européenne appelée « couvain vinaigre », on retrouve Enterococcus faecalis.
BIOLOGIE
M. pluton est une bactérie qui ne sporule pas, ce caractère biologique la rend moins « dangereuse » que la bactérie responsable de la loque américaine laquelle passe par un stade spore. Il existe tout de même une forme de latence, c’est le stade capsule. Elle peut subsister dans les parois de cellules de couvain (dans la cire), dans les excréments des larves ou dans les débris de la ruche.
M. pluton peut résister :
Près de 20 heures |
Exposition aux rayons solaires |
Environ 25 jours |
A la putréfaction (température ambiante) |
De quelques mois à plusieurs années |
A la dessiccation |
30 min |
Lors de la purification de la cire au-dessus de 80 °C |
Les larves sont contaminées via leur nourriture principalement dans les deux premiers jours de leur vie. Ensuite les bactéries se multiplient très rapidement dans le ventricule (tube digestif). Ces dernières rentrent en compétition pour la gelée nourricière avec la larve. C’est pour cela que les larves atteintes réclament plus à manger et se tortillent dans leur cellule (d’où leur position anormale, symptôme de la maladie).
Lorsque le nombre de bactérie dans l’intestin moyen est tel que la larve est privée de toute nourriture, la larve meurt par inanition. Ce seuil est généralement atteint avant l’operculation. Dès que les abeilles détectent la maladie elles commencent à évacuer les larves mortes. Ainsi lorsque beaucoup de larves sont atteintes le couvain devient lacunaire. On peut parfois observer ces larves en dehors de la ruche (sur la planche d’envol) tôt le matin.
Les larves mortes échappant aux abeilles nettoyeuses deviennent flasques et passent du jaune clair au brun. Durant ce processus, elles se « dissolvent » en une masse semi-liquide qui se dessèche pour former une écaille qui n’adhère pas à la paroi de la cellule (différence avec la loque américaine). Cette écaille peut ensuite s’émietter au fond de l’alvéole.
Si la larve survit et se métamorphose en nymphe, la bactérie est rejetée par les fèces et se retrouve sur dans la base et les opercules des cellules. Ces bactéries peuvent alors aller contaminer d’autres larves.
Attention ! La virulence de M. pluton varie selon la souche.
Ainsi parfois les larves atteintes par la loque européenne peuvent être operculées.
En Suisse actuellement, les apiculteurs font face à une recrudescence des cas de loques européennes, peut-être s’agit-il d’une souche plus contagieuse.
FACTEURS FAVORISANTS
Les conditions favorisant la loque européenne sont celles qui fragilisent les larves comme la mauvaise nutrition. Ainsi le facteur majeur est la carence en protéines. La gelée administrée aux larves par les nourrices contient beaucoup de protéines permettant leur bon développement. Pour rappel l’unique source de protéine des abeilles est le pollen.
Ainsi il existe plusieurs situations qui peuvent favoriser cette carence :
Rapport faible adultes/couvain |
Début du printemps (grand nombre de larves à nourrir mais pas assez de nourrices) |
Intoxication (remplacement des butineuses mortes par les nourrices plus tôt que d’habitude) |
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Une infestation varroa forte diminuant la durée de vie des abeilles d’hiver et donc des populations faibles en sortie d’hiver |
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Des regroupements d’essaims pas assez populeux |
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Carence en pollen |
Zone peu pollinifère |
Mauvaise météo empêchant les butineuses de sortir |
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Gelée nourricière de moindre qualité, souvent dû à un problème au niveau des glandes hypopharyngiennes des nourrices |
Une forte infestation par varroa |
Infection des nourrices par le virus du couvain sacciforme (SBV=Sacbrood Bee Virus) |
Les mauvaises pratiques apicoles sont aussi des facteurs pouvant induire la loque européenne (ne pas changer régulièrement les cadres, ne pas nettoyer son matériel, nourrir avec du miel potentiellement contaminé…)
SYMPTOMES ET DIAGNOSTIC
Quels sont les signes cliniques observables en cas de loque européenne ?
Couvain ouvert |
Larves mortes de couleur jaune (d’abord jaunes pâles, puis elles jaunissent de plus en plus jusqu’à devenir brunes voire grisâtres), plus ou moins transparentes |
caractéristique |
Larves dans des positions atypiques (suite à un tortillement car elles avaient faim), on peut les retrouver vrillées ou en extension dans l’alvéole |
caractéristique |
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Ecaille noire non adhérente (différent de la loque européenne) |
caractéristique |
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Couvain en général |
Couvain en mosaïque |
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Opercules effondrés, un peu plus sombres |
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Opercules percés |
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Masse visqueuse mais non filante (test de l’allumette) |
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Colonie en général |
Colonie faible voire dépeuplée |
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Au stade avancé, odeur aigre (on parle de couvain vinaigre) voire de matière fécale (selon les bactéries qui accompagnent l’agent de la loque européenne) |
caractéristique |
Il est important de pouvoir différencier lors de son diagnostic terrain la loque européenne d’autres maladie comme la loque américaine (dans le couvain fermé, test de l’allumette, écaille adhérente) ou le couvain sacciforme (forme de sac remplie de liquide blanchâtre, couvain fermé).
Par contre il est possible de trouver en même temps la loque européenne et d’autres maladies.
Le diagnostic sur le terrain n’est qu’un diagnostic de suspicion. Le diagnostic de certitude se fait au laboratoire. Il existe différentes méthodes d’analyse en laboratoire :
- Au microscope : mise en évidence des bactéries, simple mais difficile à interpréter.
- Via une mise en culture : Melissococcus pluton peut être « élevée » sur un milieu spécifique pour être identifier par la suite, méthode plus difficile
- Grâce à une PCR (Polymerase Chain Reaction) : méthode onéreuse mais très fine
- Via une méthode immunologique avec du sérum produit sur des lapins
- Test ELISA
La présence de bactérie M. plutonius dans un prélèvement ne signifie pas qu’il y a maladie, il faut savoir s’il y a des symptômes caractéristiques associés.
Que faut-il prélever pour les analyses en laboratoires ?
Des carrés de couvain centrés sur le couvain anormal |
12cmX12cm. |
Des abeilles prélevées sur le couvain (nourrices) |
minimum 100 |
Du miel et du pollen |
pour une éventuelle PCR |
TRANSMISSION
La propagation de la maladie peut se faire à plusieurs niveaux :
A l’intérieur de la ruche |
De la nourrice à la larve |
De la larve à la nettoyeuse |
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Par trophallaxie entre abeilles adultes |
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Entre les ruches d’un même rucher |
Par pillage |
Par dérive |
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Utilisation de matériel contaminé |
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Nourrissement avec du miel contaminé |
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Par échange de cadres |
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Entre ruchers |
Installation d’un essaim malade |
Furetage |
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Par pillage |
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Utilisation de matériel contaminé |
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Nourrissement avec du miel contaminé |
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Lors de transhumance |
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Proximité d’un rucher abandonné ou mal géré |
CONDUITE A TENIR ET TRAITEMENT
En cas d’anomalie sur vos colonies contactez la structure qui s’occupe du sanitaire apicole locale (GDSA ou Section apicole de GDS, voir coordonnées).
L’usage des antibiotiques bien que (trop) répandu est inutile (voir publication de Budge et al 2010) et interdite en France.
Le traitement passe donc par des techniques apicoles et va dépendre du stade de la maladie :
Début de loque européenne (quelques larves jaunes mortes observées, pas d’odeur caractéristique, et maximum 3 cadres atteints) |
- Retirer et bruler le ou les cadres contenant des larves malades. - Nourrir - Créer un blocage de ponte (via nourrissement ou encagement) pour « obliger » les abeilles à nettoyer |
Si le stade est un peu plus avancé et que la colonie est forte (hors hivernage) |
- Transvasement sur cires neuves (voir procédé plus loin) - Nourrir |
Si la colonie est très atteinte (plus de la moitié des cadres touchés) |
- Destruction des cadres et de la colonie - Désinfection de la ruche |
Dans tous les cas l’apiculteur doit faire une visite approfondie (cadre par cadre) de toutes les colonies du rucher potentiellement infecté. Une deuxième visite est conseillée pour observer d’éventuels nouveaux cas dans le rucher.
Pour se débarrasser des bactéries M. plutonius dans la cire il faut la faire fondre à plus de 80°C et pendant plus de 30 min. Autant la faire fondre à 120°C pour se débarrasser éventuellement de la bactérie causant la loque américaine.
PREVENTION
Remplacer au minimum trois cadres par an dans vos ruches avec des cadres neufs |
La bactérie peut s’accumuler dans les cires et contaminer la colonie |
Eviter la dérive, en limitant la densité des ruches dans votre rucher |
Pour éviter la transmission de la maladie d’une ruche malade à une ruche saine |
Eviter le pillage, en surveillant régulièrement les ruches afin de soigner, retirer (rucher de quarantaine) ou détruire les ruches malade |
Pour éviter la transmission de la maladie d’une ruche malade à une ruche saine |
Surveiller les réserves de la colonie et pallier à d’éventuelles carences |
Pour éviter de carencer les larves |
Faire attention à l’emplacement (éviter les zones peu pollinifères) |
Pour éviter de carencer les larves |
Maitriser l’infestation de varroa |
Pour ne pas nuire au développement des glandes hypopharyngiennes des nourrices + Pour ne pas avoir une diminution du nombre d’abeilles durant l’hiver |
Désinfecter son matériel apicole (lève-cadre, gants, enfumoir, habit,…) |
Pour ne pas être un vecteur de la bactérie |
Eviter l’utilisation de la brosse à abeille et favoriser l’utilisation de fougère ou autres herbes présentes dans le rucher, voire l’utilisation de plumes |
La brosse touchant les cadres des colonies, elle peut être contaminée et disséminer les bactéries dans d’autres ruchers |
Sélectionner ou se procurer des souches dites « hygiéniques » |
Ses souches nettoient plus facilement et plus rapidement les larves mortes permettant de limiter la propagation de la maladie |
Effectuer régulièrement des visites sanitaires de ses ruches (minimum trois dans l’année) |
Plus tôt la maladie est détectée plus facilement elle est gérée (et la colonie sauvée) |
Maintenir des colonies fortes et équilibrées |
Une colonie forte fait plus facilement face à ce genre de maladie et peut parfois s’en sortir toute seule |